Nous intervenons régulièrement en défense pénale de personnes majeures vulnérables, faisant l’objet de mesures de protections telles que la curatelle ou la tutelle.
Ces personnes, présentant des fragilités, doivent ainsi être assistées ou représentées pour plusieurs actes de leur vie.
Dans cette logique, lorsque des majeurs protégés se trouvent mis en cause dans une procédure pénale, la loi prévoit des obligations particulières à la charge de l’autorité de poursuite, qui ont été renforcées par diverses interventions de la Chambre criminelle de la Cour de cassation ou encore du Conseil constitutionnel.
La loi prévoit ainsi notamment que le curateur ou le tuteur doit être avisé de toute audience concernant le majeur protégé mais elle restait jusqu'à présent muette s’agissant, notamment, du défèrement – c’est-à-dire une présentation sous escorte policière devant le procureur de la République – en ne prévoyant pas l’extension d’une telle obligation dans cette hypothèse.
A l’occasion de sa décision en date du 18 janvier 2024 (n°2018-730 QPC), le Conseil constitutionnel a logiquement constaté l’inconstitutionnalité de cette loi qui ne prévoyait pas la nécessité d’informer le curateur ou le tuteur d’un majeur protégé lorsqu’un défèrement était envisagé.
Autrement dit, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il doit donc exister, dans la loi, une obligation d’avis au tuteur ou au curateur d’un majeur protégé avant qu’un défèrement devant le procureur de la République ne puisse valablement intervenir.
Si la portée de cette nouvelle règle est déjà intéressante, ce sont les conditions dans lesquelles l’inconstitutionnalité a été constatée qui appelle notre observation.
En effet, le mécanisme habituellement utilisé par le Conseil constitutionnel est celui de l’abrogation différée : il s’agit de constater l’inconstitutionnalité mais de ne pas prononcer immédiatement l’effacement de la loi, afin de permettre au législateur d’intervenir sous un certain délai, dès lors que l’abrogation immédiate entraineraient « des conséquences manifestement excessives » selon la formule consacrée.
Ici, abroger immédiatement la loi aurait eu pour effet de supprimer toute obligation à la charge du procureur de la République d’aviser le curateur ou le tuteur, pour tout type de poursuites pénales diligentées à l’encontre d’un majeur protégé.
Pour faire bref, une telle hypothèse serait synonyme d’un retour en arrière de près de vingt années sur le plan des droits des majeurs protégés.
Dans notre situation, le Conseil constitutionnel a ainsi judicieusement utilisé ce mécanisme en différant l’abrogation de cette loi au 31 janvier 2025, afin de permettre au législateur d’intervenir avant cette date.
Nul n’ignore toutefois qu’entre-temps le Président de la République a estimé utile de prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale, entrainant l’instabilité législative connue, outre la nouvelle définition des priorités politiques constatées.
Or, si l’ordre semble être au coeur des discours d’allures performatives, la sécurité juridique s’agissant des droits des personnes les plus fragiles, n’est quant à elle manifestement pas à l’ordre du jour.
Ainsi, au moment où ces lignes sont écrites, le législateur n’est pas intervenu et l’abrogation est effective, depuis le 31 janvier 2025.
L’effet pervers de l’inconstitutionnalité prononcée est donc désormais acquis et les majeurs protégés le sont désormais moins, dans la loi, du fait de l’intervention d’un Conseil constitutionnel qui entendait précisément les protéger davantage.
Ou comment une telle stratégie de dissolution, en sus d’être douteuse sur le plan politique, se révèle dangereuse sur le plan juridique.